Récit et photos de David Lee Drotar
Dans le cadre de la campagne promotionnelle de La Route Accessible sur les marchés américains, le journaliste new yorkais David Lee Trotar a été invité par Kéroul en février 2014. N’étant pas personnellement à mobilité réduite, il a accepté d’accompagner un membre actif de Kéroul, Nicolas Steresco, qui se déplace en fauteuil roulant et à l’aide de béquilles. Ensemble, ils ont visité différents lieux touristiques des régions de Montréal, de Lanaudière et des Cantons-de-l’Est. Nous remercions Monique Héroux pour la traduction française.
On dit qu’un chien se comporte comme un enfant de deux ans, câlinant les uns et les autres, se chamaillant la minute suivante. Mais Daisy s’est assagie au fil du temps. Cet amical Husky noir et blanc se tenait près de nous comme une maman qui laisse aller ses enfants pour la première fois. C’est en effet ce qu’elle était.
Daisy n’était plus chien de traîneau, car elle avait donné naissance à plusieurs chiots qui faisaient maintenant partie de notre équipage de chiens de traîneaux. Ces chiens devaient tirer mes amis et moi à travers le paysage glacé de la province de Québec.
« Ne vous inquiétez pas, nous prendrons soin de vous », semblait-elle nous dire en nous flairant pendant que, dans sa cabane chauffée, Pierre Boutin, propriétaire de Kinadapt, nous faisait des mises en garde sur le vent cinglant, les arbres tombés, les chevreuils courants et la neige tombant du toit des granges. Daisy se laissa tomber à nos pieds sur le sol froid en poussant un gros soupir. « Les avocats nous obligent à émettre ces consignes ».
Mais bientôt, nous étions prêts à sortir dans l’air mordant, confortablement emmitouflés dans nos trois traîneaux. En un instant, trois équipes de huit chiens aboyaient frénétiquement et nous amenaient dans un monde magique glacé et blanc où la lumière miroitait dans la forêt. Debout derrière nous sur les patins des traîneaux, les conducteurs murmuraient à leurs chiens à la fois compliments et directions à suivre.
« Bon travail, Woody », susurrait Vanessa, la conductrice, tandis que le chien de tête soulevait derrière lui des nuages de neige. Woody était son chien qu’elle ramenait chaque soir à la maison. « Haw, Uliviak, Haw », a commandé doucement la jeune femme. Et les huit chiens ont tous simultanément tourné à gauche.
Aussi rapidement que nous y sommes entrés, nous sommes ressortis de la forêt et dévalions la colline en suivant les bords d’une clairière. Par la lumière cristalline, je savourais déjà les prochains jours de notre escapade.
Chocs sur patins
À Montréal, Nicolas, mon nouvel ami, et moi étions assis au-dessus de l’action, pensant que nous étions des « gladiateurs » dans leurs uniformes exécutant un fulgurant et hypnotique ballet sur glace. Nous tournions la tête, à gauche, à droite, en bas, en haut. Le clic-clac assourdi des bâtons de hockey se mêlait aux bondissements de la rondelle et aux cris stridents des amateurs portant le chandail rouge et blanc des Canadiens. Le filet protecteur de l’amphithéâtre nous séparant de la patinoire semblait aussi fragile que les rêves d’un jeune garçon s’imaginant une carrière de hockeyeur pleine de vitesse et d’audace.
Grâce à une expérience de plusieurs années à suivre son équipe, Nicolas s’est penché à mon oreille, m’expliquant chaque jeu, chaque punition et chaque changement de joueur, avant que le jeu soit repris en plan rapproché sur l’écran géant au centre de la patinoire. Lorsque la lumière rouge sur la bande s’est allumée, annonçant une pause de deux minutes afin d’insérer une publicité destinée aux téléspectateurs, nous avons continué notre placotage à voix basse.
Un évènement sportif de 20 000 amateurs de hockey « gonflés à bloc » est trop important pour ne pas y inclure de la publicité. En effet, le JumboTron, publicisant les beignes Tim Hortons, la bière Molson et autres, lance à la vitesse de l’éclair des spots publicitaires dans toutes les directions tandis que la caméra « Kiss Cam » commanditée par les Chocolats Lindt surprend les couples embarrassés de l’assistance en train de se bécoter.
Pendant ce temps, je regardais la « zamboni » lisser méthodiquement la glace éraflée pour que celle‑ci retrouve sa condition originale, pour permettre à la rondelle de glisser sans difficulté d’un bout à l’autre de la patinoire. Dans le territoire défensif de la patinoire, une glace trop lisse n’est pas idéale. C’est pourquoi les gardiens de but vont égratigner volontairement la zone de but pour ralentir le missile qui s’approche.
Tel un coup de poing donné par un joueur en colère à un adversaire, la partie se termine abruptement par une victoire de notre équipe. Nous descendons clopin-clopant les marches abruptes du Centre Bell en posant judicieusement les pieds afin de garder notre équilibre.
Moto sur patins
Le lendemain, nous nous sommes entassés dans la minifourgonnette et nous roulions sur la neige qui tombait doucement, saupoudrant les rues en pavé du Vieux-Montréal. Contournant l’imposante basilique Notre-Dame à l’architecture gothique, entourée par des grilles de fer forgé, nous avons longé le port et sommes sortis de la ville. Nous dirigeant vers le Nord, vers la région de Lanaudière, nous avons traversé des champs de blé et de pommes de terre, maintenant couverts de neige, mais, rappelons-nous, au Québec, les activités économiques ne sont pas « endormies » pour autant. Le paysage devint plus montagneux, couvert de forêt. Sur l’autoroute achalandée, nous avons esquivé des camions chargés de billots de bois.
Rendus au lac Grenier, nous avons revêtu tant bien que mal des salopettes, bottes et anoraks noirs et encombrants. Notre transformation instantanée en personnages menaçants de films d’action était complète. Comme si je tenais un sabre lumineux surdimensionné, j’ai agrippé les guidons de la motoneige et pressé la manette d’accélération. Je me suis dirigé vers la surface gelée du lac, le soleil rebondissant dans toutes les directions entre ciel et neige. Ses cannes attachées à son côté, Nicolas s’est lancé devant moi. Pendant trente minutes se déroula une fusillade intergalactique; nous avons joué à cache-cache, faisant des huit autour des îlots et esquivant les branches maîtresses des épinettes le long des rives.
Par la visière en plexiglass de mon casque « spatial », j’ai vu Nicolas s’enfoncer dans une ornière enneigée. Je voyais soudainement que la force gravitationnelle de la terre n’existait plus pour Nicolas et que maintenant il se trouvait dans une autre galaxie jamais habitée.
Il a été difficile de ramener mon ami sur terre, mais notre escapade s’achevait. Dans la chaleur douillette du chalet au bord du lac, nous nous sommes assis et nous avons ri devant un dîner réconfortant composé d’une crème de chou-fleur et d’une quiche au jambon. J’ai su alors que notre mission était réussie.
Ski-tandem
Encore une fois, nous avons pris la route couverte de neige et nous nous sommes dirigés vers les Cantons-de-l’Est. Cette partie du Québec, qui est traditionnellement de langue française, a été colonisée par les loyalistes restés fidèles à l’Angleterre après la Révolution américaine. Le mont Orford, d’une hauteur de 2 400 pieds, est relativement petit par rapport aux hauts sommets des Rocheuses. Je n’avais pas skié depuis des années et je me demandais si j’en étais encore capable.
Selon Nicolas, dans toutes les stations de ski et les boutiques de location, les skis paraboliques font maintenant partie de l’équipement standard. Grâce à ces skis, on peut tourner beaucoup plus facilement. Cet avantage me convenait beaucoup parce que je ne pouvais m’empêcher de me voir instable et tombant sur la piste glacée. Nicolas skiera évidemment avec un équipement adapté.
Bercé par le ronron de la minifourgonnette sur l’autoroute et absorbé par mon test à venir sur ma capacité d’athlète vieillissant, je n’ai pas prêté attention à la route. D’une voix docte, Nicolas m’a sorti de mon rêve éveillé.
« Tu vois la bretelle sous l’autoroute, là-bas? C’est la rampe d’accès pour aller là-haut», me dit-il. Même si j’étais maintenant habitué à l’accent québécois et à l’ordre légèrement différent des adjectifs dans une phrase, je n’ai pas compris à quoi il pensait. J’ai regardé en haut et simplement vu une paroi de béton d’un gris indéfinissable. C’était le 15 avril. La route était sèche, mais peut-être y avait-il un peu de sable dans la courbe. J’allais vite. C’est tout ce dont je me rappelle. »
Je compris à ce moment-là. Il parlait de son accident de moto, survenu il y a 15 ans. Il avait encore des larmes dans ses yeux sombres. Remontant son pantalon, il me montra les muscles et les os tordus de sa jambe gauche. Étonnamment, sa difficulté actuelle de marcher ne provenait pas de sa blessure à la jambe, mais bien de son traumatisme craniocérébral (TCC) qui a affecté son équilibre. Il a dû réapprendre à marcher avec l’aide de deux cannes.
Un moment après, nous étions tous les deux dans le télésiège qui nous transportait au sommet de la montagne. Une brume grise tourbillonnait autour de moi et mes skis pendaient librement dans mes pieds. Une mosaïque monochrome de végétation et de glace se déployait dans la vallée en contrebas. J’ai levé la barre de protection et quitté maladroitement la chaise. J’ai prudemment descendu la piste, fier de ne pas tomber. Comme à l’accoutumée, Nicolas, le démon de la vitesse, m’a dépassé en trombe.
Plus tard, nous avons inversé les rôles. J’ÉTAIS devenu paraplégique; J’AVAIS la paralysie cérébrale; J’ÉTAIS un vétéran de la guerre d’Iraq, doublement amputé. J’étais toutes ces personnes que nous ne voyons pas autour nous. Mais, pour un moment, sur la montagne, j’ai été ces personnes, sachant qu’une fois en bas de la montagne, je quitterais mon carcan.
Je me suis installé dans une sorte de traîneau en métal jaune vif appelé « ski-tandem », car il est conçu pour accommoder deux skieurs : le passager et le « pilote ». Ma tuque enfoncée et mon casque ajusté, j’étais presque couché sur le sol. Marc, le pilote, m’a attaché fermement; seuls les bras, repliés sur ma poitrine, étaient sans entrave. Il se tenait derrière moi sur les talons des skis et nous avons glissé près du télésiège. Grâce à la poignée basculante, je me suis senti soudainement redressé. Le traîneau solidement attaché au télésiège, nous nous sommes élevés doucement vers le sommet.
« Ça va? », me demanda Marc d’une voix douce et rassurante. « Ça va ». Le vent glacé fouettait ma figure. J’étais assis et totalement dépendant. Je me sentais bien. Cependant, je me demandais comment c’était d’avoir toujours besoin d’un coup de main… de demander à quelqu’un de porter votre sac, de pousser votre fauteuil roulant, de vous nourrir, de vous changer?
Nous avons atteint le sommet et quitté le télésiège. Une fois de plus, Marc m’a placé en position horizontale et nous avons dévalé la même pente sur laquelle j’avais skié précédemment. La neige frappait ma figure; étrangement, mes sens étaient décuplés à mesure que je sentais les bosses, les virages et la vitesse que je n’avais pas remarqués auparavant. C’était exaltant et j’ai oublié que j’étais attaché. Nicolas avait-il eu la même sensation? Dévaler la pente de cette façon, était-ce plus libérateur ou plus contraignant?
Retour
J’ai entendu les aboiements familiers et amicaux à mesure que le traîneau s’approchait de la grange et tous les autres chiens nous souhaitèrent la bienvenue après notre escapade. Quelle aventure nous avons vécue!
Daisy, ma nouvelle maman adoptive, était là pour m’accueillir; elle a mis son museau humide dans ma mitaine. J’ai gentiment tapoté sa tête, mais elle répétait ses coups de tête, chaque fois un peu plus vigoureusement. Quand il fût temps de revenir à la fourgonnette, la chienne nous suivit.
« Nous prenons soin des uns et des autres », dit-elle, refusant de nous laisser en me rappelant que nous étions tous une famille.
Les récits de voyage de David Lee Drotar sont publiés dans les magazines et les journaux suivants : USA Today, The Globe & Mail, New York Post, The Buffalo News, Perceptive Travel, ainsi que dans de nombreuses autres publications. Il est l’auteur de sept livres, dont Steep Passages: A World-Wide Eco-Adventurer Unlocks Nature’s Spiritual Truths (http://www.brookviewpress.com).
Pour voyager dans la province de Québec…
Pour obtenir des renseignements supplémentaires sur la planification d’un voyage dans la province de Québec, rendez-vous sur http://www.bonjourquebec.com ou téléphonez au 1 877 BONJOUR.
Si vous-mêmes, ou les personnes qui voyagent avec vous, avez des limitations physiques, consultez La Route Accessible, que vous trouverez à l’adresse électronique suivante : www.larouteaccessible.com ; il s’agit d’un bon outil de planification en ligne, qui vous permettra de trouver un grand nombre d’activités et d’hébergements accessibles pour toutes les saisons.
Kinadapt : www.kinadapt.com, 450 834-4441