par Joanne Turcotte

Depuis huit ans déjà, mon fils Jonathan s’adonne au parachutisme. J’en suis extrêmement fière. Une fois par été, il saute en tandem à l’école de parachutisme Voltige. Je vous entends dire : « D’accord ! C’est bien beau tout ça, mais il n’y a rien d’exceptionnel là-dedans ! » Eh bien, détrompez-vous ! Tout y est exceptionnel, car mon fils est né à vingt-cinq semaines de gestation à un poids plume de 550 grammes. Il a une quadriplégie cérébrale spastique et il se déplace majoritairement en fauteuil motorisé. Aujourd’hui, il est âgé de 29 ans et n’étant pas autonome, il demeure dans une résidence de la Fondation Le Pilier de Laval.
Pour ceux et celles dont j’ai capté l’attention, j’ai envie de vous partager l’expérience que nous avons eue au début de cette aventure. Je désire également souligner que l’école de parachutisme Voltige a contribué au succès de cette activité par son implication, son professionnalisme et son empathie pour les personnes différentes.
À Noël 2010, j’ai offert à mon conjoint André un saut en parachute. Tout excité de ce présent, il a aussitôt réservé son saut pour l’été suivant. C’est donc en juin 2011 que Jonathan et moi l’avons accompagné pour admirer sa performance et prendre quelques photos de l’événement. Pendant qu’André écoutait attentivement la petite vidéo obligatoire portant sur les consignes à respecter durant l’activité, un instructeur s’est approché de mon fils en lui demandant gentiment s’il était prêt à se lancer dans le vide. Surprise, pensant que Jonathan ne pourrait jamais vivre cette expérience, j’ai questionné cet instructeur pour obtenir de plus amples informations. Pour mieux me répondre, il examina minutieusement les limitations de Jonathan. Il conclut qu’il pourrait sauter en tandem avec un des deux instructeurs formés pour le prendre en charge. Suite à cet entretien, j’ai compris que pour une personne incapable de marcher et de se mouvoir comme la plupart des gens, cette expérience serait assurément mémorable pour elle. Imaginez votre corps dysfonctionnel se laissant porter par le vent ! Imaginez oublier ne serait-ce que quelques minutes le poids de vos déficiences !

C’est ainsi que pendant le trajet du retour, j’ai demandé à Jonathan: « Sincèrement mon garçon, aimerais-tu vraiment faire un saut en parachute comme celui d’André ? » Et lui de me répondre: « Bien sûr maman, mais seulement si tu le fais avec moi. » Oups ! J’étais piégée, car j’ai une peur maladive des hauteurs et du vide. J’ai longuement réfléchi à son offre de défi et j’ai finalement accepté de le faire avec lui dans le même avion. André s’est proposé de nous accompagner puisqu’il avait adoré sa première expérience. Par la suite, se sont ajoutés ma sœur Sylvie et son fils Simon.
C’est donc en juillet 2012 que nous avons tous les cinq gravi l’escalier du même avion, chacun accompagné d’un instructeur et d’un caméraman pour conserver un souvenir vidéo de notre exploit. Au total, nous étions quinze personnes, soit le maximum accepté dans ce type d’avion. Comme mon fils était l’une des premières personnes handicapées à faire du parachute à Voltige, sa préparation a été tout à fait spéciale et pleine d’innovation. Jonathan étant spastique dans tout son corps et particulièrement au niveau de ses membres inférieurs, les deux instructeurs qui le préparaient ont dû user d’imagination en lui installant un morceau de mousse mémoire entre les deux cuisses pour éviter les blessures. Par la suite, ils lui ont attaché délicatement les deux jambes ensemble avec du ruban gris à conduits. Nous avions bien rigolé de cette préparation tout à fait personnalisée, surtout Jonathan. Il a le sens de l’humour et de l’autodérision très développé. Toute cette préparation particulière avait pour but d’éviter les mouvements involontaires de sa part pouvant nuire à une descente sécuritaire. En ce qui concerne son haut du corps qui bénéficie d’une certaine mobilité, son instructeur lui a expliqué quelques mouvements personnalisés à exécuter durant la descente. Par exemple, entrecroiser ses doigts au moment de se tirer dans le vide évitant ainsi une ouverture prématurée.

Ce fut un moment tout simplement mémorable d’autant plus que nous étions tous de la même famille. Jonathan est entré dans l’avion en dernier pour pouvoir sauter en premier. De cette manière, son instructeur qui était attaché à lui n’avait pas à se déplacer dans l’avion. De voir mon fils se lancer dans le vide avec une confiance à toute épreuve me procura une grande fierté. Quelques secondes après, c’était mon tour. J’avais peur, mon visage était pâle et je ne réfléchissais plus normalement. Au fur et à mesure que j’approchais de la porte grande ouverte, mon corps se cambrait. Je ne voulais plus sauter, mais mon instructeur qui faisait plus de six pieds en avait décidé autrement. Mes maigres cinq pieds n’ont pas suffi à le faire reculer. J’ai crié tout le long « je vais mourir, je vais mourir… » tandis que mon fils avait eu un plaisir fou. Enfin arrivée au sol, j’ai pu admirer le grand sourire sur le visage de mon garçon démontrant bien le bonheur qu’il avait vécu. Il était tellement excité de plaisir qu’il m’avait tout de suite demandé de faire un autre saut l’été suivant.
C’est ainsi que depuis son tout premier saut de 2012, Jonathan se lance les pieds dans le vide une fois par année. Bravo champion !

De la même auteure : Combat d’une vie, combat d’espoir
Cette biographie raconte la bataille pour la survie d’un grand prématuré de vingt-cinq semaines de gestation pesant 550 grammes. Joanne Turcotte décrit les étapes marquantes du périple de ce petit garçon et le combat de parents impliqués dans ce tourbillon d’événements de 1990 jusqu’à 2018. Ce livre se veut un partage d’expériences vécues et d’informations pouvant venir en aide à des parents vivant une situation similaire pour qu’ils se sentent moins isolés.
