Repousser les barrières de la mer

Par Jean Côté

IMG_5418

Naviguer en mer offre un sentiment de liberté à quiconque s’y risque. Les voiliers standard sont cependant peu accueillants pour les personnes handicapées, qu’elles aient une déficience motrice, visuelle, auditive ou neurologique. L’organisme Jubilee Sailing Trust, mis au défi, s’est attelé à la tâche en proposant un modèle de voilier complètement accessible. Depuis, le Lord Nelson et le Tenacious sillonnent les mers grâce au travail conjoint de personnes avec et sans handicap qui collaborent pour la navigation!

Le Lord Nelson est une véritable merveille. Chaque détail est conçu pour améliorer l’expérience des personnes ayant une déficience physique. Les rampes sont omniprésentes sur toute la structure pour donner accès à l’entièreté du voilier. Un ascenseur est aussi disponible pour passer du pont aux cabines. Le gouvernail fonctionne quant à lui avec un système hydraulique, ce qui le rend léger et facile à manœuvrer. Un siège ajustable et un compas sonore s’ajoutent à cette adaptation ingénieuse. Les personnes ayant une déficience visuelle peuvent aussi profiter d’une mince latte de bois au sol pour se diriger de façon autonome, sur le pont comme en cabine. De petites flèches de métal sont intégrées aux remparts, ce qui permet de déterminer au toucher l’avant de l’arrière du navire. Un système de boucle d’induction est installé sur tout le voilier pour communiquer avec les personnes ayant une déficience auditive. En bref, tout est conçu pour les personnes handicapées qui se retrouvent alors au cœur de l’action au lieu d’être reléguées au rôle de passager! Le Tenacious, l’autre voilier de la Jubilee Sailing Trust, offre une expérience similaire dans une structure un peu plus moderne puisqu’elle date seulement de l’an 2000.

Dans le cadre des Rendez-vous 2017, le Lord Nelson était de passage à Québec, au grand plaisir de plusieurs personnes handicapées ayant le sens de l’aventure. Jean Côté, un collaborateur de Kéroul, était du nombre. Voici un témoignage de sa part.

Lorsque j’ai su que les Grands Voiliers s’en venaient à Québec pour le 150e anniversaire de fondation du Canada, j’ai alors consulté le site Web des Rendez-vous 2017 (www.rdv2017.com) pour m’informer. Quelle ne fut pas ma surprise en apprenant qu’il y aurait deux bateaux accessibles pour les personnes à mobilité réduite, soit le voilier à trois mâts Lord Nelson et le catamaran Impossible Dream! J’étais cependant très loin de me douter qu’une personne en fauteuil roulant pouvait aussi naviguer à bord de ces deux magnifiques voiliers.

IMG_1425

J’ai d’abord visité le Lord Nelson. Ce bateau a été construit dans le but de faire naviguer les personnes handicapées, donc j’avais accès à tous les niveaux du bateau grâce à des ascenseurs et des allées plus larges. On arrive sur le pont principal qui nous permet de nous rendre à la cuisine, la salle à manger, la salle pour les cartes de navigation, etc. À l’avant du voilier, la proue, au lieu d’avoir une immense poutre (un mât de beaupré), il y a une rampe assez large pour qu’une personne en fauteuil roulant puisse s’y aventurer. Quelle magnifique sensation de liberté doit-on ressentir lorsqu’en pleine mer on se rend au bout de cette passerelle et qu’on a l’impression de voler au-dessus de l’océan! Les gardes tout le tour du bateau sont faites de façon à ce que les personnes aveugles puissent savoir si elles vont vers la proue ou la poupe du bateau et à quel niveau elles se trouvent.

 

Je suis alors monté au niveau le plus haut, le pont où l’on peut piloter le voilier. Le siège du capitaine se déplace sur rail pour se rendre jusqu’à mon fauteuil roulant. Une fois transféré, je glisse dans le siège du capitaine jusqu’à la barre (qui est très facile à tourner) afin de piloter le voilier. Pour les personnes aveugles, on peut activer une commande qui indique vocalement où se dirige le bateau.

Ensuite, j’ai très facilement embarqué sur le catamaran Impossible Dream à l’aide d’une grande rampe. L’embarcation est beaucoup plus petite bien sûr, mais elle a le même but : permettre aux personnes handicapées de naviguer sur l’océan. Ce splendide voilier a été construit pour être accessible aux personnes à mobilité réduite, car le propriétaire d’origine se déplaçait en fauteuil roulant suite à accident de ski.

IMG_0661

Il y a une allée qui fait le tour du bateau et qui est suffisamment large pour pouvoir circuler en fauteuil roulant. Le poste de pilotage est parfaitement accessible, car on peut se glisser sous le comptoir avec un fauteuil roulant. C’est là où est située la barre (très facile à tourner) ainsi que tous les appareils de navigation. Le niveau inférieur où se retrouvent les cabines n’est pas accessible.

Lors de la visite de ces deux étonnants voiliers, les responsables ont été absolument charmants. Ils ont répondu à toutes nos questions.

Merci à tous ces gens qui ne s’arrêtent pas aux différentes limites, mais qui sont capables de voir au-delà et de trouver des solutions permettant aux personnes handicapées de réaliser leurs rêves les plus fous. Quelle magnifique journée!

 


Marc Villeneuve, lui, a relevé le défi de participer à une expédition en mer. Il a partagé son expérience avec les neuf membres de l’équipage permanent, trois bénévoles et une trentaine d’apprentis matelots, dont environ le tiers avait un handicap.

IMG_5312

Accompagné de son neveu, il a pris le large pendant une semaine à bord du Lord Nelson, suite aux bons commentaires de quelques personnes de son entourage qui avaient précédemment tenté l’expérience de la Jubilee Sailing Trust dans les Caraïbes. C’était une suite logique pour ce navigateur déjà à l’aise avec la voile et la régate!

Ses connaissances l’ont certainement aidé à s’adapter, mais il s’avère que gérer un bateau de l’envergure du Lord Nelson est un défi d’une autre taille! En fauteuil roulant, par exemple, braver la houle de vagues de sept ou huit pieds de haut peut demander beaucoup d’énergie, autant pour rester en place que pour se déplacer. Ça monte, ça descend, ça monte, ça descend… attention au mal de mer! De plus, il est primordial de construire des liens d’amitié avec les autres membres de l’équipage puisqu’on les côtoie de près durant toute la semaine. Les lieux sont exigus, même s’ils sont accessibles.

IMG_4077

Marc Villeneuve a beaucoup apprécié l’expérience, notamment grâce aux rencontres colorées et à la variété des activités à l’horaire, qui joignent régulièrement l’utile à l’agréable. L’horaire est chargé, mais bien équilibré. Les apprentis matelots touchent un peu à tout, de la barre à la cuisine, en passant par les tâches ménagères quotidiennes. « Ça change du tout inclus à Cancun! », glisse-t-il entre deux rires.

Tout ce travail en vaut la chandelle. Il permet d’apprécier encore plus les petits moments que la nature a à offrir. Le levé du soleil, perçu au travers des voiles translucides du navire au large de l’Ile d’Anticosti, a marqué son esprit lors d’un quart de travail de 4h à 8h du matin. Repousser les barrières de la mer n’aura jamais été aussi féérique.

 


Jubilee Sailing Trust

Cet organisme international, accrédité par les Nations Unies, fait la promotion de l’intégration grâce à des expéditions en mer sur de grands voiliers, le Lord Nelson et le Tenacious. Des personnes de tous les âges, genres, expériences, connaissances et habiletés s’y côtoient dans l’objectif commun de mener les voiliers à bon port. La Jubilee Sailing Trust, depuis sa fondation il y a une trentaine d’années, a fait prendre la mer à plus de 30 000 apprentis, y compris 12 000 personnes handicapées, dont 5 000 se déplaçant en fauteuil roulant. L’aménagement des voiliers est essentiel à l’expérience, mais ce sont surtout la volonté de l’organisme et les efforts constants pour adapter les services à tous qui marquent l’esprit de l’équipage temporaire.

L’organisme ne pourra probablement pas revenir au Québec de si tôt, mais des départs sont disponibles depuis l’Angleterre, l’Australie et les Caraïbes tout au long de l’année. Il est possible de naviguer sur l’océan à bord des voiliers moyennant des frais de 150 £ par jour, soit environ 250 $ CAD. Des préposés au bénéficiaire sont disponibles sans frais supplémentaires. Il y a également une infirmière présente pendant le voyage, advenant un problème de santé.

Site web : http://jst.org.uk/

Un commentaire

Laisser un commentaire